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Duncan Idaho : le dernier chevalier

Par David Meulemans & L’épaule d’Orion

Duncan Idaho occupe une place singulière dans l’univers de Dune, qui le distingue de tous les autres personnages de la fresque imaginée par Frank Herbert. Éternel second rôle, il n’a l’honneur d’aucune scène en propre dans le premier roman, contrairement à d’autres figures secondaires comme Thufir Hawat, Liet-Kynes et Feyd-Rautha.

C’est pourtant le seul présent dans l’ensemble du cycle… Car Duncan Idaho meurt, de très nombreuses fois au cours des six livres, mais il revient toujours, dès Le Messie de Dune, sous la forme d’un ghola, un « clone » tleilaxu. Toujours au service de la Maison Atréides, il est tout d’abord compagnon du Duc Leto, puis de son fils Paul, de sa fille Alia qu’il épousera, puis de son petit-fils Leto II, et ainsi de suite.

 
Illustration du jeune Duncan Idaho, portant le numéro 11 368, réalisée par PinPastor.

Illustration du jeune Duncan Idaho, portant le numéro 11 368, réalisée par PinPastor.

 

L’homme droit

Formé au Ginaz, cette école qui prépare des bretteurs d’exception au sein de l’Empire, il est considéré comme l’un des meilleurs guerriers de son époque, au point de faire trembler l’empereur Shaddam IV lui-même et de s’attirer l’admiration de ses terribles guerriers, les Sardaukars, qui emporteront sa dépouille lorsqu’il tombera au combat, couvrant ainsi la fuite de Paul dans l’avant-poste souterrain Fremen.

Surnommé « l’homme droit » par Paul, auprès duquel il occupe la fonction de maître d’escrime, sa fidélité est sans faille. Il est celui que le Duc Leto envoie en éclaireur sur la planète Arrakis pour lui servir d’ambassadeur auprès des Fremen.

 

De ce peuple méfiant et fier, il est l’un des rares étrangers à gagner la confiance. Stilgar, le chef de guerre fremen, acceptera sa double allégeance, respectueux du fait qu’il l’a en premier accordée au Duc et ne saurait la trahir sans se trahir lui-même.

Sur un plateau d’échecs, Duncan Idaho occuperait la position de la tour : à même de se projeter d’un coup au-delà des lignes ennemies (c’est un pilote d’ornithoptère hors pair, volant invisible sous la crête des dunes), mais capable aussi, tel un roc, de se placer entre son roi et le danger qui menace, comme lors de l’attaque de la station botanique fremen par les Sardaukars, durant laquelle il se sacrifie pour permettre à Paul de s’échapper. À bien des égards, Duncan Idaho incarne l’idéal chevaleresque.

 
Illustration du jeune Duncan Idaho réalisée par Dev Pramanik et Alex Guimarães.

Illustration du jeune Duncan Idaho réalisée par Dev Pramanik et Alex Guimarães.

 
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Portrait de Duncan Idaho

Réalisé pour le Mook Dune par Aurélien Police.

 

Un personnage “nommément” tragique

Une des premières mentions de Duncan se trouve dans la bouche de Paul encore sur Caladan : « Où est Duncan Idaho ? N’est-il point censé m’enseigner le maniement des armes ? »

À la faveur de cette interrogation, et surtout de la réponse de Gurney, le lecteur apprend trois choses : Duncan est parti pour Arrakis, il entraîne habituellement Paul, et Gurney peut le remplacer dans cet exercice. Toutefois ce dernier songe à la fin de l’entraînement : « Il a étudié et s’est entraîné de son côté. Ça n’est pas là le style de Duncan et je ne lui ai certainement rien appris de semblable ! »

Cette remarque n’est pas anodine car elle annonce ce qui se jouera lors du combat final de Paul contre Feyd-Rautha : un Gurney, toujours prêt à se battre, qui devra laisser la place ; un Duncan disparu, mais dont le jeune Atréides a absorbé et dépassé le style de combat, prouvant publiquement qu’il a surpassé tous ses maîtres.

 
Affiche de Duncan Idaho réalisée par Chezka Sunit.

Affiche de Duncan Idaho réalisée par Chezka Sunit.

 
Portrait de Duncan Idaho réalisé par Marc Simonetti.

Portrait de Duncan Idaho réalisé par Marc Simonetti.

 

Mais avant d’être un des maîtres de Paul, Duncan est un des lieutenants de son père, le Duc Leto, comme le rappelle implicitement Thufir Hawat, quand il interroge Paul sur son entretien avec la Révérende Mère : « Et comment croit-elle donc que ton père a attiré auprès de lui des hommes tels que Duncan et Gurney ? »

Une étrangeté de Dune tient à la présence de deux maîtres d’armes. Sans doute est-ce un rappel de leurs fonctions respectives dans le dispositif de la Maison Atréides : Duncan Idaho, c’est l’avant-garde, celui qu’on envoie en attaque, en exploration ; Gurney Halleck, c’est l’arrière-garde, la position défensive.

Cette distinction est à l’image de leurs caractères : le premier est jeune et fougueux, le second est plus vieux et romantique, tels Patrocle et Nestor, les deux héros grecs de l’Iliade.

 
Illustration de Duncan Idaho réalisée par Carlos NCT.

Illustration de Duncan Idaho réalisée par Carlos NCT.

 

Le choix de son prénom ne peut non plus laisser indifférent – c’est celui du roi d’Écosse, dont Macbeth est le meurtrier dans la pièce éponyme de William Shakespeare, modèle de droiture et de bonté, tant comme souverain que père.

D’ailleurs, le roman de Herbert se réfère à un autre moment à cette pièce, quand la Révérende Mère dit au sujet de Paul : « Jamais nul enfant né d’une femme n’a enduré autant », une manière de suggérer l’invincibilité de Paul, et le fait que sa geste s’achèvera par une bataille victorieuse (Macbeth s’achève sur un duel dont sort victorieux Macduff, qui n’est pas « né d’une femme », en cela qu’il est né par césarienne).

Le mot « Idaho », qui renvoie à l’État du même nom, terme dont l’origine a été (faussement) attribuée au peuple amérindien shoshone, victime de massacres pendant la conquête américaine, est quant à lui un autre exemple de l’humanité syncrétique de Dune qui rapproche ici un roi écossais condamné et les horreurs de la colonisation : Atréides et Fremen d’adoption, Duncan Idaho est « nommément » un personnage tragique.

 
Illustration de Duncan Idaho réalisée par Tom Kraky.

Illustration de Duncan Idaho réalisée par Tom Kraky.

 
Dessin de Duncan Idaho réalisé par Zak Hartong.

Dessin de Duncan Idaho réalisé par Zak Hartong.

 

Le parfait représentant de l’éthique atréides

Duncan Idaho est un personnage plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord, et si on doit lui chercher un modèle c’est du côté du Lancelot du Lac de Chrétien de Troyes qu’il faut certainement se tourner.

Comme Lancelot, c’est un héros courtois, celui dont on dit qu’il est facile aux femmes de l’apprécier, et auquel on confie la garde des dames. Duncan est une arme. Bien employée, c’est un atout. Mal employée, un embarras.

 

Ses premières semaines sur Arrakis le montrent rapidement pris entre des ordres contradictoires. En premier lieu, Duncan enregistre suffisamment de succès auprès des Fremen pour que le chef de guerre, Stilgar, propose une double allégeance, à laquelle Duncan et le Duc consentent.

Toutefois Hawat exige sa présence à Arrakeen pour une mission encore plus délicate : « Sous le prétexte de la garder, tu maintiendras une constante surveillance sur la personne de Dame Jessica. »

En découle une série de catastrophes, car, comme Lancelot, Duncan nourrit une passion secrète pour sa « reine » – laquelle lui fera remarquer, dans Les Enfants de Dune, que s’il a épousé sa fille Alia, c’est uniquement parce qu’il était attiré par une version plus jeune d’elle-même.

 
Illustration de Duncan Idaho réalisée par Denis Maznev.

Illustration de Duncan Idaho réalisée par Denis Maznev.

 
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Duncan Idaho joué par Richard Jordan

Dune de David Lynch, 1984.

 

Cette tension amoureuse est perceptible dans l’esclandre qu’il déclenche au sein du palais d’Arrakeen après qu’Hawat lui a confié qu’il soupçonne Jessica de vouloir trahir la Maison Atréides. Duncan Idaho se soûle lamentablement à la bière d’épice, jusqu’à ne plus tenir debout et même avouer à Jessica, qui l’a giflé pour le faire revenir à une meilleure posture : « Je ne reçois pas d’ordre d’une satanée espionne harkonnen. »

La même Jessica, lorsqu’elle confronte Thufir Hawat, déploie contre lui ses pouvoirs psychiques de Bene Gesserit. Pas avec Duncan Idaho. Elle le gifle ! Le contact est physique, en réaction à la tension érotique qui se dessine entre eux. Cette scène révèle un autre trait de caractère de Duncan Idaho : il n’a pas toutes les qualités d’un chef – en tout cas, pas celle de maîtriser ses passions.

 
Dessin de Duncan Idaho réalisé par Jim Burns.

Dessin de Duncan Idaho réalisé par Jim Burns.

 
Dessin de Duncan Idaho réalisé par Raul Volpato.

Dessin de Duncan Idaho réalisé par Raul Volpato.

 

Cette séquence révèle surtout que Duncan est dégoûté de la trahison et du mensonge. Et il deviendra une sorte de modèle inatteignable pour le jeune Paul qui s’enfuit vers le désert, ainsi qu’une première pièce sur son échiquier : « “Garde ton bouclier, Duncan. Ton bras droit me suffit.” Jessica remarqua les effets du compliment, la façon dont Idaho se rapprocha un peu plus de Paul, et elle songea : Mon fils sait comment traiter les siens. »

C’est à ce moment que Paul se substitue à son père, commence à prendre sa place, en montrant une capacité similaire à comprendre les siens. Et à employer au mieux les compétences de chacun.

 
Duncan Idaho joué par Jason Momoa dans le film Dune de Denis Villeneuve, 2021.

Duncan Idaho joué par Jason Momoa dans le film Dune de Denis Villeneuve, 2021.

 
Duncan Idaho joué par Jason Momoa dans le film Dune de Denis Villeneuve, 2021.

Duncan Idaho joué par Jason Momoa dans le film Dune de Denis Villeneuve, 2021.

 

Témoin de l’ascension de différents maîtres à la puissance de plus en plus indiscutable (Paul puis Leto II), Duncan représente l’éthique atréides, régulièrement (et volontairement) sacrifiée pour rappeler une leçon sévère aux empereurs déshumanisés : ils ont besoin de lui pour croire en l’humanité.

Lors de la chute de la Maison Atréides, trois morts interviennent dans un bref intervalle : le Duc, Liet-Kynes et Duncan Idaho. Preux chevalier, il n’est pas anodin que Duncan succombe. Dune est un roman où les héros traditionnels sont balayés au profit de l’avènement de tyrans.

 

On notera que Liet et Duncan sont complémentaires. Chacun a été soumis à une double allégeance, avec en commun celle aux Fremen. Et Paul appliquera les enseignements des deux hommes – comme chef de guerre et visionnaire.

Ce qu’il reste de Duncan en Paul est manifeste quand il convoque son souvenir au moment d’affronter, lors de son premier duel, le Fremen Jamis : « Lorsque ton adversaire a peur de toi, laisse les rênes libres à sa peur pour qu’elle fasse son œuvre. Qu’elle devienne terreur. L’homme qui a peur lutte avec lui-même. À la fin, il attaque par désespoir. C’est l’instant le plus dangereux mais, en général, l’homme terrifié commet une erreur fatale. Tu as été éduqué pour déceler ce genre d’erreur et en profiter. »

 
Figurine de Duncan Idaho fabriquée par Dark Horse.

Figurine de Duncan Idaho fabriquée par Dark Horse.

 
Portrait de Duncan Idaho réalisé pour la réédition de Dune aux éditions Robert Laffont par Aurélien Police.

Portrait de Duncan Idaho réalisé pour la réédition de Dune aux éditions Robert Laffont par Aurélien Police.

 

Hawat aussi se souvient de Duncan, avec admiration, quand il confie au Baron dont il est devenu, sous la contrainte, un des affidés : « L’Empereur Padishah s’est retourné contre la Maison des Atréides parce que les Maîtres de Guerre du Duc, Gurney Halleck et Duncan Idaho, avaient constitué une unité de combat – une petite unité – qui était bien près de valoir les Sardaukars. Certains hommes étaient même meilleurs. Et le Duc avait la possibilité de développer cette unité, de la rendre aussi puissante que les forces de l’Empereur. »

Court mais éloquent panégyrique d’un homme, qui aura contribué, par amour pour la Maison Atréides, à précipiter sa chute. Mais il reste encore à vivre de nombreuses aventures à Duncan Idaho… puisqu’il est le dernier chevalier.

 
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